Stratégie data et roadmap 4.0 : Rencontre avec Eva ROTHER, directrice générale de FPT Industrial France
Le 11 octobre 2022Comment faire de votre data un levier de performance et d’efficience ? Par quels moyens la transformer en outil d’aide à la décision, gagner en flexibilité et apporter de la valeur ajoutée à votre business ? Comment élaborer votre stratégie data pour passer à l’ère du 4.0 et optimiser votre ROI ?
Rencontre avec Eva Rother directrice générale de FPT Industrial France et du site de Bourbon-Lancy qui témoigne sur l’élaboration de la roadmap 4.0 du groupe. Titulaire d’une thèse en management 4.0, Eva Rother nous explique la stratégie du groupe vers l’industrie 4.0.
Pourquoi avoir mis en place une stratégie data ?
Eva Rother – Notre stratégie data s’articule autour d’un nécessaire changement. Le temps est à la réduction du temps de lancement d’un produit, au développement de la flexibilité et de l’agilité des process, au besoin d’efficience. Autant de raisons pour faire évoluer notre business par la mise au point d’une stratégie 4.0 sur le site de Bourbon-Lancy, dans laquelle la data occupe une place importante.
Comment s’articule-t-elle par rapport à une stratégie globale vers l’industrie 4.0 ?
E. R. – Une roadmap 4.0 est élaborée depuis 2015 sur le site de Bourbon-Lancy, portée par différentes thèses et en lien avec le laboratoire LIRIS à Lyon. Nous avons travaillé pendant 3 à 4 années sur les dimensions technologique, méthodologique et management autour du 4.0. En 2019, quand nous avons abordé la partie maintenance, nous avons réalisé que sans visualisation de nos données, nous travaillerions sur des projets en parallèle sans véritable convergence. Nous avons alors essayé de comprendre les bénéfices qu’elles pouvaient engendrer selon deux axes, l’usage de la donnée que nous pouvions avoir et sa valeur ajoutée pour le business, et avec trois niveaux : la visualisation, l’analyse et le support à la décision.
Comment l’adapter à votre contexte ?
E. R. – Effectivement, notre usine date de 1874 avec des machines qui ont une vingtaine d’années de moyenne d’âge, 40 ans parfois. Il fallait donc prendre en compte l’héritage technique de nos machines pour voir comment accéder à la donnée de nos process de production. Nous avons ainsi réalisé un mapping par priorités de l’usine, au niveau production, maintenance, environnement, énergie, logistique. Avec des données soit déjà disponibles, soit à créer et celles encore difficiles à obtenir. Il était important pour nous de vulgariser les enjeux liés à l’usage de la donnée et expliquer l’apport pour la prise de décision, car c’est vraiment ça que nous attendons aujourd’hui.
Comment la mettre en œuvre, notamment sur la collecte de données ?
E. R. – Pendant deux ans, nous avons travaillé en parallèle le sourcing des données et la réflexion sur leur usage. Sur le premier point, plutôt que l’ajout de capteurs qui peut se révéler coûteux sur des centres d’usinage comme les nôtres (cela nécessite des temps d’arrêt et augmente le risque de panne) nous avons sourcé les données existantes au niveau de la commande numérique ou de l’automate. L’objectif était de trouver des solutions techniques qui pouvaient s’appliquer sur un parc machines aussi hétérogène et ancien que le nôtre. En parallèle de la collecte de données, une réflexion a été menée sur leur usage : quels besoins métiers et quels algorithmes d’intelligence artificielle afin de prioriser nos investissements centrés sur la data.
Pourquoi avoir choisi des outils d'analyse de données et d'IA comme DiagRAMS ?
E. R. – C’est notre partenaire Siemens qui nous a mis en relation avec DiagRAMS à l’occasion du concours DIA (Digital Industry & Infrastructure Awards) organisé avec Atos. C’était une belle opportunité pour FPT de présenter nos cas d’usages industriels à des experts en analyse de données et mieux comprendre comment tirer parti de nos données (cf schéma). C’est comme ça qu’a débuté notre collaboration pour de la maintenance prédictive sur notre centre d’usinage.
La solution DiagRAMS permet d’analyser les paramètres précis sur la machine et de détecter des dérives au niveau des axes et les fuites d’air comprimé. Nous avons désormais une bonne vision de l’état de santé de l’équipement et des pannes à venir. A terme, l’objectif est d’élargir les analyses à la prédiction de qualité des produits.
Où en êtes-vous aujourd’hui et quelles sont les prochaines étapes ?
E. R. – De nouvelles lignes avec des nouveaux centres d’usinage sont en train d’arriver sur le site pour le développement d’un nouveau produit lancé en 2023-2024. Ça va donc être l’occasion de capitaliser sur ce que nous avons appris avec nos plus vieilles machines pour récupérer la donnée, y compris sur celles concernant le produit pour pousser plus loin tous ces algorithmes et ces analyses prédictives sur nos centres d’usinage. Sur la partie assemblage, nous sommes en train de travailler sur le process de la partie du produit. Concernant la cybersécurité, nous avons appliqué strictement les protocoles du Groupe, même si ça n’a pas été évident au début puisque ça a pris 18 mois pour la première machine, mais aujourd’hui ça ne prend que quelques heures. Ça a permis en tout cas de faire évoluer les protocoles en prenant en compte ces nouveaux enjeux.
En plus de la production à proprement parlé, avez-vous identifié d’autres impacts sur le management et l’environnement ?
E. R. – Il y a un réel sujet autour de l’environnement et de l’énergie de manière large, pour lesquelles les données sont contrôlées manuellement. Demain, il est réaliste d’imaginer monitorer en temps réel les impacts environnementaux du site et d’avoir une visibilité en temps réel sur les consommations de nos lignes de production pour les rationner. L’idée est d’avoir le panel de nos informations process, produits et éventuellement des personnes ou de l’environnement pour prendre la meilleure décision, ou, en tout cas, d’avoir des scénarios des possibles pour la prendre.
Comment calculer le ROI sur une stratégie data ?
E. R. – Le ROI est très difficile à calculer sur ces projets, nous avons donc choisi d’élaborer une roadmap à l’opportunité et de travailler systématiquement à démontrer par l’exemple l’intérêt de connecter nos équipements. À chaque fois, nous avons opté pour des solutions où nous étions autonomes sur notre capacité à se connecter, à programmer, à stocker nos données, etc. Pour avancer sur la partie analyse, nous avons noué des collaborations avec des startups comme DiagRAMS et des universités grâce à plusieurs thèses qui nous permettent de nous challenger sur l’usage de la donnée.
Est-ce que cette stratégie fait partie d’une orientation générale au niveau de votre Groupe ?
E. R. – Non, c’était avant tout une volonté du site, même si c’est en train de se développer sur d’autres usines du Groupe. D’autant que nous avons obtenu un award Agamus sur la partie digitalisation et avons été labellisés vitrine du futur en 2018. Notre expérience donne l’exemple que c’est possible, sans un gros budget ni changement de tous les process ni de toutes les machines. C’est avant tout une question d’opportunité et de bon sens, surtout quand on connaît ses process.
Justement comment embarquer les équipes sur ce sujet de la data qui peut éveiller des craintes ?
E. R. – La première étape, c’est la démystification : l’industrie 4.0 ne va pas remplacer l’humain contrairement au 3.0 qui a entraîné l’automatisation. Nous avons donc communiqué en toute transparence au niveau des équipes sur ce sujet. Non la donnée demain ne va pas remplacer le manager, notre vision au contraire c’est qu’elle va l’aider à libérer du temps pour s’occuper de sa mission première : l’humain. Chez nous, moins de 8 % du temps d’un manager est réellement consacré à des activités centrées autour de l’humain. Il s’agit donc d’automatiser des tâches comme les reporting et de faciliter la partie qui concerne 20 à 30 % de sa charge de travail : la prise de décision.
Quel conseil donneriez-vous à une entreprise qui voudrait mettre en place une stratégie data ?
E. R. – Il est vraiment important de comprendre que contrairement aux idées reçues c’est loin d’être inaccessible. Il faut démystifier la donnée, qui n’est pas réservée qu’aux grands groupes. Une PME/PMI peut mener cette démarche sans investissement conséquent mais avec du bon sens et à petits pas. Cela permet de grandir en même temps que la technologie, de se l’approprier et de l’intégrer beaucoup plus facilement dans le changement. Il faut aussi garder en tête que ce ne sont pas les informaticiens qui sont propriétaires de la donnée, mais vraiment les salariés de terrain qui maîtrisent leurs process. Il est primordial d’embarquer les équipes sur ces projets pour que la donnée soit au service du business et non le contraire.
À propos de FPT Industrial
FPT Industrial France conçoit et produit des moteurs industriels pour les poids lourds, bus, bateaux, matériels agricoles, etc. Pour ce géant de la motorisation, le passage à l’industrie 4.0 n’est pas une révolution mais une évolution : une démarche simple mise en place pas à pas avec l’ensemble des collaborateurs.